Rencontre avec Julian Alvarez

Julian Alvarez (Ludoscience) était sur scène au moment de mon arrivée à Ludovia 2010. Il participait à la table ronde Ressources, Manuels , livres et jeux Numériques interactions des acteurs et modèle économique. De ce que j’ai pu comprendre, il a attendu longtemps avant de prendre la parole, pour une première fois. Mais l’occasion venue, il a beaucoup impressionné les gens présents. Non seulement a-t-il cité en exemple un serious game co-construit avec des élèves afin de mieux les orienter professionnellement, mais son appel à mieux respecter le besoin des jeunes en situation d’apprentissage a porté:

«Les nouvelles générations n’aiment pas seulement jouer, elles recherchent surtout la possibilité d’agir, de créer et donc d’interagir.»

Associé au projet Lutin Userlab, Julian est en quelque sorte leur «référence» en matière de serious games. Il travaille dans ce cadre à un projet qui consiste en la mise en oeuvre d’une bibliothèque qui permettrait de disposer de certains matériels pour faire de la recherche & développement interne ou pour un client d’évaluer des Serious Games en interne avec du matériel spécifique (tests avec oculomètre, capteurs biométriques, labo des usages, robots…). Les dispositifs technologiques étant avant tout des médiateurs et non des fins en soi, l’utilisateur n’aurait qu’à défrayer les coûts de transport. Je reviendrai sur ce projet dans une note au bas de ce billet.

Ça fait longtemps que je suis de près le travail de Julian. J’ai lu sa thèse (.pdf) voilà quelques années et dès le moment où j’ai vu son nom dans l’avant-programme de Ludovia 2010, je me suis dit que j’essaierais d’obtenir une rencontre d’une petite heure, seul à seul avec lui. Mon objectif était de discuter de certains mandats dans lesquels je suis impliqué et qui consiste à façonner un serious game. Un des projets dont je peux parler est en lien avec l’Université Laval et se nomme «Démeaucratie»:

«Ce jeu sérieux basé sur la démocratie au Québec sera un mélange de jeu d’action et de réflexion. Il aura comme but de redonner aux jeunes le goût de la démocratie. La gestion publique de l’eau sera au centre du « game-play »»

Au centre de mes préoccupations dans les projets dont je m’occupe est cette question de savoir jusqu’à quel point le joueur doit être conscient qu’il est en train d’apprendre pour que l’environnement ludo-éducatif puisse «produire» des apprentissages valables. Est-ce que le dispositif doit être sans équivoque sur l’intention de faire apprendre? Est-ce que le cadre du jeu et du «game-play» doit être sans équivoque sur ce qu’on veut faire apprendre?

Julian et moi avions convenu de se voir jeudi matin. Auparavant, j’avais été mis au courant que son dernier livre (un collectif d’auteurs) était en vente sur place à un coût très modeste. Le titre ne pouvait être mieux choisi pour l’occasion de notre rencontre: «Introduction au serious games».

Dès le moment où nous nous sommes serré la main, la convivialité et l’intensité se sont installées. Il a parlé des projets dans lesquels il est engagé en ce moment… J’ai fait de même, en ajoutant quelques détails sur mon parcours inusité. On a parlé des joueurs, de l’importance du jeu pour développer la créativité et aussi de l’importance d’un univers virtuel, voire irréel, côtoyant le réel, pour les jeunes en particulier. J’ai été frappé par un passage où Julian me parlait rôle crucial que peut permettre le jeu vidéo qui est sa capacité de créer des univers fantastiques où il est permis de braver les interdits. Dans toutes les recherches que lui et son groupe ont menées, il était évident que le joueur savait faire la différence entre le réel et l’irréel et que cette idée d’un transfert entre les deux univers («tu joues avec des jeux violents: tu vas DEVENIR violent») ne reposerait pas sur une base scientifique. Comme pour l’addiction, le symptôme (où disons les problèmes de dépendance, de pulsions destructrices incontrôlées) précède l’acte de jouer au contact de ces univers numériques.

Pour ce qui est de cette question du cadre dans lequel on fait apprendre dans un jeu, Julian Alvarez est sans équivoque: essayer de tromper le joueur est une très mauvaise idée. L’intention de faire apprendre doit être claire, parce que le joueur qui «entre» dans un jeu va en sortir tout de suite s’il se rend compte qu’on ne lui a pas fourni les bonnes informations sur le contexte du jeu. Qui plus est, s’il est probablement vrai de dire qu’on apprend toujours quelque chose en jouant, il faut noter qu’aucun transfert réel ne va s’opérer si le joueur n’a pas l’occasion de «rendre conscient» ce qu’il apprend. Croire en la pensée magique en cette matière est déraisonnable. Les recherches démontrent selon Julian que «le message» ne passe pas dans un jeu lorsqu’il n’est pas explicite. L’ironie ou le contre-message vous expose à recevoir au terme du jeu (si le joueur se rend au bout) un « »mais il est nul ce jeu », même si techniquement tout est satisfaisant»!

Au terme de cette rencontre, j’avoue avoir été remué (d’ailleurs, je l’ai tweeté quelques instants après la rencontre. Il faut dire que j’ai beaucoup lu Julian avant d’avoir eu ce matin-là, le privilège de cette rencontre…). L’écoute était intense, le ton assuré, la conversation lente et toute douce. Julian est quelqu’un qui n’ouvre pas constamment «des parenthèses», soucieux de répondre à la question posée, pas d’élaborer pendant longtemps sur ce qui est en périphérie. De plus, l’écoute active est possible avec lui, pas du tout étonné qu’on doive reformuler pour bien comprendre, et ajustant le tir au besoin, sans vous faire sentir «crétin» de ne pas avoir tout saisi d’un premier coup.

Il faut dire que je savais dans quelle sorte d’univers j’entrerais dans cette heure de dialogue. C’est une des forces de Ludovia que de pouvoir côtoyer des Yann Leroux, Fanny Georges, Étienne Armand Amato ou Michel Lavigne, tous des chercheurs importants et passionnés.

Au terme de cette rencontre, je suis sorti avec une dédicace du livre qui m’invitait à poursuivre les échanges. Je n’y manquerai pas!

N.B. J’ajoute que le projet de mise en place d’une bibliothèque destinée à prêter non pas des livres, mais du matériel technologique au service des structures partenaires est à la recherche d’appuis de la part de sociétés ou d’institutions. Je vous encourage à entrer en contact avec Julian Alvarez à l’adresse dans cette page, si vous êtes prêts à considérer un appui potentiel. Il vous expliquera lui-même comment faire. Mais il faut faire vite…

Ajout: Le livre est maintenant disponible en librairie…

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1 Commentaire
  1. Photo du profil de JulianAlvarez
    JulianAlvarez 12 années Il y a

    Bonjour Mario,
    L’échange a été très instructif. Je trouve tes projets très intéressants. Merci à toi de faire ainsi connaître les travaux et réflexions des chercheurs (dont tu fais partie !) à travers tes blogs depuis plusieurs années. Sans toi, le paysage du Serious game ne serait vraiment pas pareil.
    Bien à toi,
    Julian

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