Les enseignants ne se sentent pas reconnus à leur juste valeur

Le présent billet a été rédigé par René Larouche, professeur retraité de l’Université Laval ayant comme principal champ d’intérêt la sociologie des professions. J’ai aussi collaboré à la rédaction. Je lui offre cet espace de mon blogue parce que j’endosse son travail. Nous avons déjà commencé à publier plusieurs documents jamais diffusés au public sur les avantages que pourraient connaître la société Québécoise si un ordre professionnel des enseignantes et des enseignants voyait le jour. Les prochains billets portent sur le thème suivant:

Les enseignantes et les enseignants ne sont pas toujours traitées/s de façon professionnelle au Québec. Désirent-elles/ils qu’il en soit autrement… ainsi que la société québécoise ?

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Nous avons vu dans un précédent billet que le public en général valorise autant l’enseignement que les enseignants eux-mêmes. Dans ce contexte, il est paradoxal et intéressant de constater que malgré cela, les enseignantes et les enseignants perçoivent qu’ils et elles ne sont pas reconnus à leur juste valeur.

« Même si l’on établit une distinction entre les sondages effectués auprès de la population en général et ceux faits auprès des « usagers » des services éducatifs, soit les parents ou les élèves, le taux de satisfaction demeure élevé. Les parents sont généralement plus satisfaits et on peut supposer qu’ils ont une connaissance directe plus grande du système scolaire que la population en général. Paradoxalement, la perception des enseignantes et des enseignants eux-mêmes est qu’ils ne sont pas reconnus à leur juste valeur. » (Conseil Supérieur de l’Éducation. Un nouveau souffle pour la profession enseignante, Avis au ministre de l’Éducation, septembre 2004, p. 36)

Claude Lessard et Jacques Tardif, par exemple, ont analysé le discours de plus d’une centaine d’enseignants. Leurs travaux montrent que ceux-ci éprouvent un sentiment de perte de statut et de considération et que ce sentiment trouve sa source dans leur vécu, dans leurs expériences avec des parents, dans leurs contacts de tous les jours :

« En dehors de l’école, certains enseignants n’osent plus mentionner leur titre. Ils sentent une agressivité à leur endroit ou du mépris. L’opinion publique les tient pour des gens grassement payés et qui ne travaillent pas très fort. La relation de confiance entre les enseignants et les parents est rompue. Les enseignants sont obligés de se justifier. Leur rôle ne va plus de soi. De nos jours, les parents sont plus actifs dans l’école. Ils revendiquent plus et sont critiques par rapport au travail des enseignants. Depuis le décret de 1982, ils sont cependant plus coopératifs, du moins dans certains milieux. Pour les enseignants, les initiatives gouvernementales sont à l’origine de ces changements. La population et les parents ont subi une campagne de désinformation. Les grèves n’ont pas aidé, surtout celle de 1982. De façon générale, la société accorde moins d’importance à l’éducation. Les enseignants doivent se replier sur leurs acquis et ne pas exprimer trop de revendications » (Lessard et Tardif, 1996, p. 268-269.).

En fait, les enseignants souffrent d’un sentiment de manque de prestige, d’autorité et de crédibilité – c’est du moins ce qu’ils expriment – et une distance culturelle et sociale se serait creusée entre eux et les enfants de même que les parents. De plus, ils se sentent sur la défensive devant l’État, estimant être victimes de préjugés également. Lessard et Tardif concluent :

« L’image globale qui se dégage du discours enseignant est celle d’une profession qui connaît une chute sociale, dont les parts sur le marché social du prestige et de la considération sont nettement à la baisse, voire au plus bas. Il y aurait non seulement perte de statut, mais aussi critiques et jugements sévères » (Lessard et Tardif, 1996, p. 271.).

Autre point de vue, quelques années plus tard…

« À la lumière de ces analyses, le Conseil constate que les enseignants sont sensibles à une image de leur profession qui serait, selon eux, négative et qu’ils considèrent les attentes du public et des parents comme à la fois réductrices et démesurées. C’est comme si les enseignants trouvaient la population trop critique à leur endroit et qu’en même temps la complexité de leur tâche n’était pas reconnue » (Conseil Supérieur de l’Éducation. Un nouveau souffle pour la profession enseignante, Avis au ministre de l’Éducation, septembre 2004, p. 37-38)

Beaucoup d’enseignants ne choisiraient pas de nouveau la « profession » dû à l’absence de valorisation sociale
Le Conseil supérieur de l’éducation constate que la reconnaissance sociale est l’une des grandes sources d’insatisfaction pour les enseignants interrogés : 64,2 % des enseignants du secondaire et 56,0 % de ceux du primaire se disent insatisfaits ou très insatisfaits de la reconnaissance de la société à leur égard. De plus, l’enquête du Conseil (« Enseigner : qu’en disent les profs ? ») révèle que, pour quelque 16 % des enseignants du primaire et du secondaire, l’absence de valorisation sociale serait la raison pour laquelle ils ne choisiraient pas de nouveau la profession (CSE, 1991, p. 123). Toutefois, les données recueillies ne permettent pas d’affirmer de façon catégorique que le manque de valorisation de la profession enseignante est perçu d’une façon particulière par un sous-groupe d’enseignants » (Conseil Supérieur de l’Éducation. Un nouveau souffle pour la profession enseignante, Avis au ministre de l’Éducation, septembre 2004, p. 37).

La problématique de la reconnaissance sociale devient l’une des plus grandes sources d’insatisfaction pour les enseignants et les enseignantes. Il semble aussi que le manque de diversification des tâches et les possibilités de promotion sont également des aspects du travail qui sont sources d’une importante insatisfaction pour les enseignants interrogés à l’époque. L’enquête du Conseil révèle que, pour quelque 16 % des enseignants du primaire et du secondaire, l’absence de valorisation sociale serait la raison pour laquelle ils ne choisiraient pas de nouveau la profession (CSE, 1991, p. 123). Ainsi, le Conseil conclut que « la valeur accordée à la profession dans la société et les possibilités de mobilité verticale et horizontale (…) génèrent plus d’insatisfaction que de satisfaction » (CSE, 1991, p. 114). Cette insatisfaction semble varier selon plusieurs caractéristiques (statut permanent ou non de l’enseignant, milieu de travail, scolarité des répondants, etc.). Bien-sûr, on parle d’études qui ont vingt ans, mais on ressent sur le terrain que cette situation subsiste…

Depuis plusieurs décennies les enseignants sont insatisfaits de la non-reconnaissance sociale de leur semi/quasi profession, tout en se percevant comme des «professionnels» peu reconnus.

Durant les années quatre-vingt
Déjà, en 1984, le Conseil supérieur de l’éducation a noté l’image plutôt négative qu’entretiennent les enseignants à l’égard de leur propre profession (CSE, 1984, p.201). Il faut rappeler qu’une période houleuse dans les relations patronales-syndicales autour de 1982 a eu pour effet de démobiliser fortement le personnel enseignant et qu’au moment de l’élaboration de l’avis du Conseil en 1984, force était de constater que le cœur n’était pas à la fête. Aussi, le rapport Faire l’école aujourd’hui (CEQ-CECS, 1988), a-t-il mis en évidence l’insatisfaction relativement grande du personnel enseignant (Conseil Supérieur de l’Éducation. Un nouveau souffle pour la profession enseignante, Avis au ministre de l’Éducation, septembre 2004, p. 36).

Durant les années quatre-vingt-dix
La perception du manque de considération qui existe à l égard du corps enseignant crée chez les membres un véritable malaise.

« Au début de la décennie de 1990, la CEQ cherche à documenter davantage la situation par des enquêtes sur le vécu scolaire des enseignants. À son tour, la Centrale constate l’existence d’un véritable malaise lié à un manque de considération à l’égard du corps enseignant. En fait, la valeur accordée à la profession dans la société est considérée comme la première source d’insatisfaction (sur un total de quinze) par 78,3 % des enseignants interrogés (CEQ, 1991a, p. 43). La faible participation aux décisions et la dévalorisation sociale de la profession sont même mentionnées par la CEQ comme faisant partie des causes principales de l’épuisement professionnel. Il est clair, pour le syndicat, que le personnel enseignant porte toujours les « stigmates de 1982 », qu’il vit un malaise profond et que la profession est dévalorisée socialement (CEQ, 1991a, p. 6). La centrale syndicale met alors en évidence, en analysant les facteurs favorisant la réussite scolaire des élèves, que le partage du leadership pédagogique et l’implication des enseignants dans l’organisation sont des éléments importants de leur reconnaissance professionnelle : « Notre participation à l’établissement d’orientations communes et aux décisions qui concernent l’éducation est essentielle à notre motivation et à la valorisation de notre travail » (CEQ, 1991b, p.50). En 1992, la non-reconnaissance de la part des acteurs internes du milieu scolaire, principalement des directions d’école, et de l’opinion publique en général semble source non seulement d’insatisfaction, mais également de « souffrance et d’usure mentale » (CEQ, 1992, p. 13) » (Conseil Supérieur de l’Éducation. Un nouveau souffle pour la profession enseignante, Avis au ministre de l’Éducation, septembre 2004, p. 37).

Devant un constat d’insatisfaction généralisée à l’égard de l’enseignement, le Conseil, en 1991, a voulu faire lui-même enquête. Sur certains aspects de la profession liés à la reconnaissance sociale et à la satisfaction au travail, il est arrivé aux résultats qui figurent dans ce tableau…

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Au cours de la première décennie de l’an 2000
L’étude de Denis Jeffrey (large enquête menée entre 2002 et 2005) qui porte le titre de souffrance des enseignants est concluante sur cette thématique. «Nos données montrent que plus de 30% des enseignants aimeraient pratiquer une nouvelle profession pour échapper à la souffrance professionnelle.» Ce qui suit (même document, p. 38) est encore plus « parlant »…

« Ce qui accable le plus un enseignant, comme le dévoilent nos recherches, est le manque de considération, de respect et de reconnaissance de leur direction, de leurs collègues et de la population en général. L’idéal de l’enseignant est alors mis à mal. Un enseignant souffrant se sent responsable de toutes les lacunes du système scolaire : l’échec scolaire, la violence entre élèves, l’indiscipline, le manque d’autorité, le décrochage. Un déficit d’idéal crée un manque de confiance de soi, et un sentiment d’incompétence professionnelle. Un enseignant aura aussi le sentiment que l’image de la profession est en souffrance. Il est en panne d’espérance. »

Avec cette dernière citation, nous commençons à voir certaines hypothèses pouvant expliquer que la perception des enseignants est relativement différente de celle de la population quand vient le temps de mesurer la «compétence professionnelle. Le prochain billet nous permettra d’aller plus loin dans l’explication de cet état de fait…

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2 Commentaires
  1. Photo du profil de VeroniqueD'Amours
    VeroniqueD'Amours 11 années Il y a

    Ce billet est très intéressant du fait qu’il présente la perception des enseignants sur la valeur accordée à la profession dans la population. Cela explique peut-être mon sentiment et celui de plusieurs de mes ex-homologues du primaire et du secondaire.
    Si je devais mener une étude sur le sujet, j’essaierais de voir si les enseignants ont la même perception de la valeur de leur profession aujourd’hui, 7 ans après la recherche dont il est principalement question ici, et s’il existe des nuances entre la perception des jeunes enseignants (dont 30% quittent avant 5 années de pratique) et des enseignants expérimentés.
    Enfin, au sujet de la souffrance du personnel scolaire, je vous invite à prendre connaissance de cette étude dirigée par Marie-France Maranda de l’Université Laval http://rire.ctreq.qc.ca/2011/05/ecole-en-souffrance/
    J’ai hâte de lire votre prochain billet!

  2. Marc st-pierre 11 années Il y a

    Depuis plus de dix ans les principales propositions pédagogiques faites aux enseignants, notamment celles émanant du MELS dans le contexte du renouveau pédagogique, se sont avérées peu efficaces, particulièrement auprès des élèves à risque et ceux issus des milieux défavorisés. Il est à mon sens un peu normal de se sentir déprimé quand ce qu’on fait ne produit pas les résultats escomptés. Voyez-vous, il y a deux façons de voir ça: ou bien on fait ce qu’on fait parce qu’on se sent comme on se sent, ou bien on se sent comme on se sent parce qu’on fait ce qu’on fait. Je suis plus un tenant de la 2e option, parce qu’elle me donne une prise pour agir: en faisant autre chose, de plus efficace, j’obtiens (enfin) de meilleurs résultats, je me sens plus compétent et motivé et je me sens mieux.

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